Rien, la vie

Jour premier

Écrire comme ça, le soir, quand l'envie te prend parce que l'envie te prend, des fois, de croire un peu que tu es en vie, que tu sais les signes, l'enchaînement des signes, comme des perles sur un collier sur le coup de cette femme que tu ne pourras jamais toucher, parce que tu ne sais pas faire.

Cette étrange impression que tout est inutile, parce que comme éditeur, tu sais que ce site ce n'est rien, quelques abrutis quelque part sur cette planète qui vont te balancer des awesome! et des amzaing! à longueur de futilités, penser qu'ils vivent, que quelque chose a du sens, que finalement on est des bons, hein ?

J'avais oublié ce nbsp, ce bon vieil nbsp. Tu ne comprends pas ? C'est pas grave.

Elle est si proche, si désirable. Tu as si envie d'elle que ça te fait mal, alors tu cherches une échapatoire.

Tu sais, je vais sûrement faire des fautes de grammaire et d'orthographe.

Tu sais, le français est une langue trop compliquée, alors faisons comme si ce n'était pas grave, d'accord ?

Je ne vais écrire qu'un seul fichier, je continuerai quand bon me semblera, parce que telle est l'envie du moment.

Aujourd'hui elle sentait bon. Je suis resté assis à côté d'elle, à écouter, à l'écouter, à m'imaginer ses mots comme des caresses, à sentir son corps, à regarder ses mains, ses seins, sa bouche, ses cheveux, à rêver d'elle, si proche, si loin.

Elle vient d'ailleurs, d'un pays pas si loin mais pas si proche. Elle parle d'autres langues, elle est semblable et autre.

C'est une femme.

Et je suis un homme.

Mais rien, parce que c'est comme ça. On pourrait en tartiner des pages, au final rien.

Des fois je regarde des films, des films avec des hommes et des femmes, des histoires, du semblant d'amour, des choses comme ça, inutiles, vaines.

Je ne sais pas lire en elle. Des fois je la regarde dans les yeux, sans ciller. Je reste planté dans son regard, et je l'écoute. Elle me regarde aussi, sans ciller non plus. Je ne sais pas ce qu'elle pense. Je ne comprends pas. Que ressent-elle ? Est-ce que ses yeux dans les miens la perdent comme je me perds en elle ?

Je prends mon vélo et je roule. J'oublie tout alors. Je suis bien, sur ces routes. Ce ne sont pas mes routes. Les routes sont pour les voitures, les gens pressés, qui se pensent libres.

Un jour on aura brûlé tout le pétrole. Tu sais, le prétrole c'est des vivants d'avant qui l'ont fait. Oh, ils ne l'ont pas fait exprès, c'est de la chimie, ou de la physique, ou les deux. Enfin quelque chose comme ça.

J'oublie tout. J'oublie cette femme, et j'oublie les autres, celles d'avant, celles qui m'ont oublié depuis longtemps, celle qui ne savent pas, celles que j'aurais peut-être pû toucher.

C'est drôle, mais quand j'écris toucher dans ma tête je me dis « prendre ou pris ? », et c'est drôle.

Parce que prendre quoi ? Prendre qui ?

Il est un peu tard, en ce vendredi soir. Je suis un peu fatigué parce que j'ai beaucoup travaillé cette semaine.

Je travaille sans passion, mais je sais ce que je fais, et c'est dur, et je suis un des seuls à être bon là-dedans, finalement je me dis. Je n'ai pas d'ambition, alors je ne suis pas riche. Je ne serai jamais riche, et ce n'est pas grave.

Comme je n'ai pas d'ambition, ça m'est égal d'être bon ou mauvais. Mais je suis bon quand même. Un peu feignant, mais ce n'est pas grave, je suis toujours meilleur que les autres autour.

Mais ça ne sert à rien.

Dans ma tête ne défilent que des images de son corps. J'aimerais bien la voir toute nue. J'aimerais qu'elle se colle contre moi, j'aimerais faire l'amour avec elle. J'aimerais me fondre en elle, ne faire plus qu'un, qu'un seul être dans l'amour, comme ça, tous les deux tout collés l'un à l'autre. Sentir son souffle, ses mains sur moi, son corps là, à moi, enfin avec moi.

C'est bizarre que ça soit si douloureux.

Je pense que ça va durer toute la vie cette douleur-là.

Les femmes sont belles. Oh, pas toutes. Mais beaucoup. Les regarder marcher, entendre leurs voix, leurs formes, leurs corps.

C'est bizarre qu'elles soient désirables.

Je veux dire que je sais très bien que jamais je ne les toucherai.

Des fois je la fais rire elle. Ou je la faisais rire. Je ne sais plus si elle rit encore quand je fais des blagues. Elle a ri, je crois, à un moment, un peu, peut-être. Je suis tellement perdu dans mes illusions que je ne sais plus. Je ne pense qu'à ce qui n'arrivera pas et ça me rend méchant, presque. Tu sais, la frustration. C'est pas bon. Ça fait faire et dire des bêtises.

Il faudrait que je retrouve ma nonchalance, mon inintérêt apparent.

Il faudrait que je fasse plus de vélo.

Mais le travail et le vélo ce n'est pas compatible. Quand tu donnes plein d'heures de tes journées pour le travail, il ne reste rien pour le vélo.

Alors le vélo se venge. Et tu crèves. Et tu tombes. Et la chaîne saute. Et tu es fatigué, même pas dans une côte, alors un col, n'en parlons pas.

Le vélo donne, sans chercher. Il faut le pousser, mais il donne toujours. Il faut être à la hauteur.

J'essaye de ne pas pleurer.

Pourquoi est-ce si douloureux ?

Il faudrait que j'arrête d'essayer de la toucher. Enfin d'essayer qu'elle me touche, tu sais, tu t'assois ici, tout près, et elle n'a qu'à laisser sa jambe s'approcher de la tienne et on se toucherait comme ça, l'air de rien.

Tu mets ta jambe comme ça et tu attends. Et tu attends. Et tu souffres. Et tu ne sais pas quoi faire.

Je pense que je vais arrêter de mettre ma jambe. Je pense que je vais la regarder comme je regarde les autres.

À l'école on me disait : « regarde-moi dans les yeux ! » C'était dur. Ça fait bizarre de te regarder dans les yeux, ça me fait me perdre. Ça me fait bugger. Je ne sais pas pourquoi je mets en italique.

Comment on fait pour regarder dans les yeux, comme ça, sans ciller, sans être mal à l'aise ?

Mais avec elle, c'est comme parler. C'est comme dire « je te veux ! » Mais je ne sais pas ce qu'elle entend.

Je ne la regarde pas assez fort pour qu'elle m'entende.

Je suis fatigué maintenant. Bonne soirée !

Jour second

Quand une femme avoue son attirance pour toi, tu fais quoi ?

Rien, quand c'est au passé.

Tout ce temps avec elle à côté, à se poser des tas de questions. Et elle finit par le dire. Mais au passé. Sa vie a changé depuis le temps. Beaucoup. Elle est vivante, plus qu'avant. Plus calme, tranquille. Elle a des projets. Un jour, elle voulait qu'on se parle. Elle m'a dit qu'elle avait un petit quelque chose pour un gars. Sur le coup, j'étais pris de panique. Pas comme ça, non. Mais ce n'était pas moi. On aurait dit qu'elle me demandait la permission de se laisser aller à vivre quelque chose. Je lui ai dit d'y aller, bien sûr. Laisse ton passé derrière, fonce. Elle y est allé. Ça dure encore aujourd'hui. C'est joli.

Elle me donne beaucoup d'elle, finalement. J'ai envie de la toucher, de la sentir, de l'embrasser, de l'étreindre. Tout ce que j'ai c'est ses mots, sa vie. Sa confiance. Que vouloir de plus ? On dirait qu'elle ne triche pas avec moi. Elle me raconte ses douleurs, souvent. Ses doutes, ses peurs. Elle me demande des conseils. Comme si j'étais quelqu'un qui peut donner des conseils. Je fais comme je peux. Des fois j'ai peur. Je n'ai pas envie d'entrer trop en elle, de prendre trop de place. Ce n'est pas mon rôle. Elle devrait parler à son chéri, lui faire confiance à lui. Son cœur est à moi, presque. Mais qu'en faire ?

Rien.

Quand elle m'a avoué son attirance, c'est parce que je lui parlais de la grande qui est entrée dans mon existence sans demander la permission. Elle a vu mon visage et sa main est partie directement dedans. Depuis, ça fait mal. Ça brûle. Elle est grande, jeune, trop jeune, bien trop jeune, belle, à sa façon, d'un façon abordable, je me suis dit, à un moment, malgré toutes les barrières. J'ai failli lui parler à la fin. Je savais qu'elle allait partir bientôt, et une douleur grandissait en moi, sans effort, mangeant ma vie de l'intérieur, petit écureuil qui grignotte la noisette que j'ai dans la tête. J'ai failli lui parler. Et je ne l'ai pas fait. Quand je la voyais, ça explosait de partout, des décharges électriques ici et là dans mon corps. Son corps, ses mouvements, ses vêtements.

Et puis elle est partie.

Ça fait des mois maintenant.

Je me remettais doucement de cette tempête. Je pansais mes blessures, contemplais ces nouvelles cicratices dans mon cerveau. J'essayais de reconstruire ce que je pouvais, comme je pouvais. Au milieu des ruines de questions et de doutes, est-ce qu'elle a senti mon trouble ? Est-ce que l'odeur du sien venait vraiment d'elle ou simplement d'un vent tournoyant qui renvoyait ma propre odeur dans mes narines ? Comment aurait-elle pu m'inviter dans sa conscience, moi petit rien inutile ? Cette question, je l'ai tournée des milliards de fois dans ma tête. Et je n'ai pas trouvé de réponse. Et c'était comme ça, tant pis. Au point où j'en suis, un peu plus un peu moins, ça ne fait aucune différence.

J'allais me reconstruire, oublier. Oublier son nom, ne plus farfouiller l'internet à la recherche du moindre indice, de la moindre trace qu'elle laisse. Oublier mon désir. Oublier la force de mon désir qui m'a poussé tellement fort cette fois que j'ai bien failli franchir le pas.

J'allais oublier.

Et puis la voilà de retour dans les parages. Comme un orage, un coup de tonnerre, un éclair aveuglant. J'ai pris cher quand j'ai su qu'elle revenait. Toutes les blessures se sont ré-ouvertes d'un seul coup, toutes les cicatrices naissantes ont sauté d'un claquement sec, brutal. Je suis à vif. Vulnérable comme jamais je ne l'ai été. Totalement pris au dépourvu.

Cela fait maintenant quelques semaines qu'elle est revenue. Je lui ai dit bonjour une fois, sans même la regarder dans les yeux. Je n'ai plus souvenir de sa réponse, si même elle m'en a donné une. Peut-être que j'ai parlé tellement doucement qu'elle ne s'est rendu compte de rien. Je la vois rarement. Avant, c'était souvent. Elle a changé de position, de travail, disons. Alors peut-être que son comportement a changé de même. Je ne sais pas. Quand je me laisse aller à ma folie, c'est très souvent, je me dis qu'elle me fuit. Qu'elle a mal comme j'ai mal. Mais pourquoi revenir si c'est le cas ? Pourquoi tenter le diable ?

Tout cela n'a aucun sens.

La réalité objective des faits me pousse à modéliser la situation de manière totalement différente. La rationalité en moi propose l'explication la plus simple. Cette grande et belle jeune femme se fiche de moi. Elle est polie, c'est tout. Elle souriait quand avant, il y a déjà longtemps, elle disait bonjour par politesse. Quand, à l'époque, je n'avais pas encore peur de la regarder droit dans les yeux et de lui sourire, elle rendait le sourire par politesse, parce que c'est qu'il faut faire quand on est poli. C'est la vie en société qui veut ça. Sinon on devient des... je ne sais pas quoi.

Je suis épuisé de cette situation si folle.

Il n'y a aucun contact depuis quelques semaines. Mes horaires et les siens sont totalement incompatibles. On ne se croise jamais. Je la vois de loin. Je fuis son regard. J'ai peur. Je pleure. Je suis à vif. Je ne sais absolument pas quoi faire.

Rien. Ce serait le plus sûr. Le plus simple ? Je ne sais pas. Je ne comprends pas pourquoi j'ai si peur d'elle, d'un nous qui n'existera jamais. Je n'ai rien à lui offrir. De la souffrance. Une relation à moitié, en cachette, quand j'ai le temps.

Comment ils font les autres ? Comment ils osent proposer des cinq à sept minables entre deux portes avant de rentrer chez eux s'occuper de leurs enfants comme si de rien n'était ? On dirait que la vie c'est accrocher des trophées dans sa mémoire. Sans se préoccuper de ce que les trophées veulent. Juste attraper un sein, une fesse, un pénis, jouir et faire jouir, ou juste jouir. Et pourtant c'est tellement tentant, le désir est si puissant.

J'en étais là quand je me suis dit que ça devenait trop lourd à porter, qu'il fallait que je parle à quelqu'un. Que toutes les autres échappatoires ne fonctionneraient pas, ni la fatigue de longues heures dures sur le vélo, ni l'acharnement dans le travail, ni le chocolat. J'en étais là quand j'ai décidé de parler à celle qui est devenue mon amie. Enfin dont je suis devenu l'ami. Enfin je crois. Je ne sais pas au fond. Qu'est-ce que je suis pour elle ? Elle me raconte tout, sans fard, sans peur. C'est beau, mais dur à porter aussi. Elle a pris cher et m'a donné une partie de son fardeau. Je l'aide comme je peux, malgré ma vie, malgré mon désir pour elle.

Quand elle me regarde dans les yeux, quand je vois son corps, quand elle rit à mes blagues, ça fait des gouttes qui viennent mouiller le bout de mon sexe. Du lubrifiant qui vient, comme ça, sans que je n'y puisse rien. C'est pas toujours, mais c'est souvent. Enfin quand on se voit. Ce qui n'est pas souvent.

Alors je lui ai raconté cette grande jeune, trop jeune, femme. En ayant un peu honte. Pourquoi lui imposer cette histoire ? Elle n'a rien demandé. J'ai besoin d'elle, comme on a besoin de toilettes pour déféquer. Je n'ai pas envie de l'abîmer, de la salir. J'ai envie de la voir belle, bien réussir sa vie, de me dire que mes conseils y sont un peu pour quelque chose. J'ai envie qu'elle continue de tout me dire sans filtre, sans peur. Alors lui avouer la puissance de mon désir pour une autre, tout au fond de moi je pensais qu'elle pourrait prendre ça pour une trahison.

Mais il fallait que je parle à quelqu'un. Rien d'autre ne fonctionne.

Ça m'a calmé, un peu, sur le coup. Elle m'a touché, je veux dire elle a posé sa main sur moi, ou son bras, enfin elle m'a touché. J'avais envie de la prendre dans mes bras, qu'elle me donne un câlin. Mais c'est déjà bien. Et elle m'a avoué son désir passé. Ça m'a fait bizarre. J'ai repensé à tous ces moments où je croyais bien qu'il y avait quelque chose mais où je me disais que non. Du coup je suis retombé dans la même logique avec la grande trop jeune. Est-ce que ces choses que je crois percevoir sont réelles ou non ? Il n'y a aucun moyen de savoir.

Aucun moyen de savoir. Il faut abandonner tout espoir. Il faut se recentrer sur soi et oublier le désir. Mais on ne peut pas oublier le désir. Il faut faire avec, comme un mal de dos.

Il n'y a plus d'impression, de toute façon. Elle est là de nouveau, mais elle n'est plus là. Son comportement est différent, ses habitudes sont différentes. Elle est comme une autre personne.

Ça, c'est la partie de moi qui rêve qui le dit. La partie de moi qui rêve que mon désir ne s'est pas posé sur un être inaccessible. Je rêve, enfin une partie de moi, qu'elle aussi est attirée, forcément elle l'est, regarde elle a fait ci et ça, et forcément quand on fait ci et ça c'est que l'on est attiré par l'autre. Des regards, de loin (donc peut-être inexistants, parce que de près il n'y avait rien). Des horaires similaires, comme pour me voir (peut-être plus simplement des coïncidences, je hais ce mot). Elle s'habillait comme une femme des fois, comme pour me séduire.

Et c'est tout. C'est tellement rien. La raison nous donne une explication beaucoup plus simple. Elle est polie. C'est tout. Regarde, aujourd'hui elle est revenue et rien. Elle est comme invisible, absente. Penser que c'est pour te fuir est une imbécilité. Pourquoi ferait-elle cela ?

Mais parce qu'elle souffre, comme je souffre. Parce que ça fait mal le désir. Parce que rien ne se passe. Parce que moi non plus je ne fais rien, je ne vais pas briser la glace. Une fois j'ai cru qu'elle m'attendait, assise là devant son ordinateur. Je n'avais qu'à aller lui parler, pour créer quelque chose, un début de quelque chose. Et rien. Imagine l'effort qu'elle a fait pour être là. Imagine l'attente. Et rien. Alors elle se lève et part. Et souffre. Donc forcément, après, ça refroidit. Mais le désir est toujours là.

C'est très compliqué.

Mais ça, c'est une interprétation de ce qui se passe dans sa tête. Comment serait-elle plus valide que simplement penser que tu n'existes pas pour elle ? Qu'il n'y a que la politesse en jeu.

Je ne peux pas rester entre deux eaux comme ça indéfiniment. Cela consume mon énergie. Je vais m'écrouler. Et je ne dois pas m'écrouler. Je ne peux pas. Je n'en ai pas l'envie. J'aspire au calme, à des relations humaines simples, avec ou sans désir, simplement des relations réelles, de l'amitié. Pas de la violence d'un désir impossible à assouvir.

Je pense que quoi qu'elle pense il ne faut rien faire. Ne pas changer ses habitudes pour créer des opportunités de rencontre. Continuer de vivre la même vie. C'est elle qui est partie. C'est elle qui est revenue. C'est à elle de créer les opportunités si elle est revenue pour moi (prétentieux). Elle ne le fait pas. Donc il n'y a pas de désir. Et c'est tout.

Après son départ, une petite belle est arrivée. Je la regarde. Elle est désirable. Je me laisse aller à imaginer des dialogues, des rencontres, et bien plus. C'est agréable. Ça me détourne un peu de la grande trop jeune. Ça me calme. Je lui dit bonjour des fois. Elle aussi. J'ai décidé d'arrêter de croire au désir chez l'autre. Ça m'est égal. Désire-moi si tu veux, ça n'a pas d'intérêt. Je veux dire que tu me désires ou non m'indiffère. De toute façon, rien n'adviendra. Parce que la situation est ce qu'elle est.

Un jour elle est venue me parler. J'étais pris de panique. Que veut-elle ? A-t-elle lu en moi ? Va-t-elle m'accuser de harcèlement ? Oui je la regarde. Elle a un joli corps. Elle bouge admirablement bien dans l'espace. Alors mon regard traîne un peu sur elle, certes, mais de là à parler de harcèlement, quand même, c'est trop.

Mais non, ce n'était que pour le travail. Je me suis perdu dans ses yeux, j'étais heureux de lui parler. Ça a bien dû se voir, un peu au moins. Et pourtant je n'ai pas peur. Je suis maladroit. Mais je n'ai pas peur. Elle ne m'indiffère pas. Elle me plaît, même. La toucher, la sentir, l'embrasser, ça serait bien, agréable. Des fois j'ai envie de la voir, alors je vais la voir, pour lui parler de boulot. Ça fait une bonne excuse. Ça reste dans un cadre professionnel. Ça pourrait être à double tranchant. Peut-être qu'elle me prend pour un lourd qui vient la déranger un peu trop souvent. Ou peut-être qu'elle aime ça, qu'elle a un petit quelque chose pour moi, comme moi pour elle.

C'est dangereux. Je ne veux pas qu'elle souffre. Je ne veux pas souffrir. Et je me suis laissé allé à créer une petite relation par dépit, pour oublier la grande trop jeune. (C'est compliqué de décrire des gens en essayant de rester flou, désolé si ça alourdit le texte. Je n'ai pas envie d'introduire de pseudonymes.) Je ne suis pas très impliqué, émotionnellement. C'est une distraction, un bonbon. C'est presque sale.

Quand j'ai appris le retour de la grande trop jeune, ça a claqué dans ma tête. Ma relation avec la petite belle en a pris un coup. Je me suis dit que si la grande trop jeune nous voyait ensemble elle allait avoir mal. Il fallait que je me cache.

Aujourd'hui ça m'est égal. Je vais me laisser vivre, au gré de mes impulsions. Proposer des choses à la petite belle quand l'envie m'en prendra. Elle dira oui ou non, comme elle voudra. Simplement passer du temps avec elle me suffit. Je n'attends rien. Je ne veux rien de plus. Enfin si ça vient, je ne dirais pas non. Enfin peut-être que si.

Je ne suis pas célibataire.

Comment font-ils ? Oser prendre le désir d'une femme seule. Lui donner des moments aléatoires, entre deux portes. La savoir seule, se sentant seule, s'imaginant l'homme qu'elle désire dans le lit d'une autre. Comment créer ces sentiments chez quelqu'un et se sentir bien ?

Je sais que je vais droit dans le mur. Et pourtant je me laisse y aller. Oh, je ne la presserai pas. Je resterai sur le plan de l'amitié. Enfin j'essayerai. Elle doit bien voir ce que je vois quand je la regarde. À quoi je pense. Soit ça la dégoûte, soit elle en veut aussi.

Je ne sais pas ce qu'elle pense. Je ne le saurai jamais. Et même si je le sais un jour, c'est une connaissance inutile. Quand elle (celle du premier jour) m'a avoué son désir, à quoi ça a servi ? J'imagine des choses, encore. Et peut-être que je me laisse aller un peu plus qu'avant sachant qu'elle en voulait, avant, à un moment. Mais on ne fait rien de plus. Et elle n'est pas célibataire non plus. Elle n'a pas l'air si heureuse que ça, mais elle n'est pas libre. Je ne sais pas.

Je n'ai pas envie de casser la petit belle. Ni la grande trop jeune. Ni la première. Ni ma compagne.

Je ne parle pas des autres. Il y en a d'autres encore.

Passons.

Mon cerveau crée des scénarios avec la grande trop jeune. C'est incontrôlable. Des dialogues, des situations. Des rencontres. Une évolution possible de notre relation. Qui n'existe pas. Enfin si, dans ma tête. Je pense que c'est délétère. Ça doit être comme une coupure. Quand ta peau se coupe tu saignes. Quand tu désires une femme brutalement, tu te fais des scénarios dans le cerveau. C'est un symptôme. C'est la douleur. C'est comme ça qu'elle s'exprime. Je ne sais pas quoi faire pour que ça s'arrête. La petite belle me distrait. Mais dès que je croise la grande trop jeune, c'est un électrochoc tout partout dans mon corps. Et ça dure des heures, des jours. Ensuite ça se calme un peu. Mais ça a cassé des trucs dedans.

Je suis tout cassé dedans.

Je ne sais plus quoi faire. J'ai vraiment envie d'arrêter de penser à la grande trop jeune. Pas me fermer à la possibilité d'un truc. Mais arrêter d'y penser. Ça fait trop mal. Si elle vient, alors on envisage la suite. Mais à deux, dans la réalité. Pas moi tout seul dans ma tête. Mais elle ne vient pas.

Il faudrait que je m'en fiche. Que je me dise, bah tant pis, et que j'oublie.

Au tout début où j'ai commencé à regarder la grande trop jeune, j'ai dû farfouiller pour trouver son nom. Ensuite j'ai farfouillé un peu plus pour choper ses traces sur internet. Et puis je pensais qu'elle était partie. Une première fois. Ça fait longtemps déjà tout ça. Et j'avais oublié son nom. Carrément. Aujourd'hui je me demande comment c'est possible. Je crois que maintenant je n'oublierai plus jamais son nom, vu ce qu'elle me fait. Sans le savoir. J'espère. Sans qu'elle souffre de son côté. Je lui souhaite. Que toute cette folie n'existe quand dans un seul cerveau. C'est bien suffisant. J'ai renoncé à la normalité il y a bien longtemps. Je peux prendre toute cette souffrance, toute cette douleur. Tant pis. C'est ma vie, c'est comme ça. Je fais avec. Là, ça fait un peu trop. Mais je fais avec. Je dois.

Et elle est revenu, il y a des mois, une première fois. Je l'ai revue. Ça m'a électrifié immédiatement. Je la voyais tout le temps, partout. J'étais une pile. Je savais qu'il ne fallait pas. Elle ne parlait pas. Elle ne me regardait pas. Elle passait. Comme une flèche. Et elle perçait mon cœur à chaque fois, sans jamais rater la cible. Je savais qu'il ne fallait pas s'emballer. Tu sais, la boule dans le ventre. Je l'ai vue venir. Je l'ai regardée. Je me disais, non. Je souriais pourtant. Au bord des larmes, en même temps. Parce que c'est impossible.

Et j'ai retrouvé son nom. J'ai dû faire un effort. C'était drôle. Ça m'a amusé.

Aujourd'hui ça ne m'amuse plus. Elle est partie à nouveau. J'étais à deux doigts de faire peut-être une énorme bêtise en forçant un dialogue. Mais elle est partie juste avant, juste au bon moment. Alors j'ai remonté la pente, lentement, prudemment. J'ai pansé mes plaies. J'ai dû lutter pour ne plus farfouiller internet. J'ai tenu.

Et elle est à nouveau revenue. De nouveau la brutalité des réactions dans mon corps. Elle va rester un long moment. Je vois ce long tunnel de temps devant moi. Je dois le traverser, il n'y pas d'échappatoire.

Je pourrais fuir. Mais la fuite ne réglerait rien. Ailleurs, il y a d'autres belles femmes. Ça referait la même chose, c'est sûr et certain. Alors il faudrait fuir encore.

Que faire ?

Je suis fatigué maintenant. J'écris mal.